CONVENTION DE FORFAIT EN JOURS

03 mars2022

Les arrêts rendus en matière de convention de forfait en jours[1]

 

Le temps de travail est en principe décompté en heures. Les conventions de forfait annuel en jours constituent un aménagement dérogatoire : à ce titre, leur validité est soumise à des conditions de fond et de forme dont le non-respect est sanctionné par l’annulation de la convention visée et le décompte du temps de travail en heures avec paiement des éventuelles heures supplémentaires réalisées.

Nous faisons le point ci-après sur les arrêts récents rendus en la matière et fournissant des exemples concrets de bonnes et mauvaises pratiques.

 

 

En premier lieu, toute convention de forfait en jours requiert formellement deux documents écrits : d’une part, elle doit être encadrée par un accord collectif[2] et d’autre part, elle doit être acceptée par le salarié sous la forme soit d’une clause contractuelle soit d’un avenant spécifique. L’accord collectif doit avoir été conclu avant le contrat de travail ou l’avenant organisant la convention individuelle[3].

Si l’une ou l’autre de ces conditions de forme fait défaut, la convention de forfait encourt purement et simplement la nullité, sans régularisation possible.

En second lieu, les dispositions conventionnelles doivent renseigner qui pourra être soumis à un forfait annuel en jours, combien de jours seront compris dans le forfait, la période de douze mois consécutifs[4] pendant laquelle celui-ci s’appliquera, la façon dont les incidents survenant en cours de période – absence, départ ou arrivée – seront gérés et comment son exécution sera suivie.

Peuvent être soumis à un forfait en jours les salariés disposant d’une véritable autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, et, s’agissant de cadres, ceux dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable ou, s’agissant de cadres et de non cadres, ceux dont la durée du temps de travail est impossible à prédéterminer.

Sur ce point, la soumission à un planning contraignant imposant la présence du salarié au sein de l’entreprise à des horaires prédéterminés révèle l’absence d’autonomie du salarié et justifie l’annulation de la convention de forfait[5]. A l’inverse, la fixation de demi-journées ou de journées de présence en fonction des contraintes liées à l’activité de la société[6] ou l’obligation d’assurer des permanences ou la fermeture du magasin[7] ont été jugé compatibles avec le forfait en jours dès lors qu’en dehors de ces contraintes, le salarié organise ses journées et ses horaires de travail librement. Une analyse des conditions de travail et une sélection des catégories de salariés éligibles doivent donc être réalisées en amont de la conclusion de l’accord collectif.

L’accord doit en outre préciser le nombre maximum de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit, journée de solidarité comprise. Il est possible de prévoir un nombre de jours inférieur, sans que le salarié puisse revendiquer le régime du temps partiel[8]. L’absence de détermination d’un nombre fixe et invariable de jours travaillés entraine la nullité de la convention de forfait, sans régularisation possible.

Enfin, les dispositions conventionnelles doivent comprendre les modalités de suivi de l’exécution du forfait (via un récapitulatif des jours ou demi-journées travaillés et des jours non travaillés) et garantir le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers (onze heures) et hebdomadaires (trente-cinq heures).

A cette fin, il est impératif de prévoir et mettre en place un système alertant l’employeur, dans les plus brefs délais, lorsqu’un salarié ne parvient pas notamment à respecter ses temps de repos et lui permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail.

Tel n’est pas le cas des dispositions prévoyant un décompte des jours de travail et de repos établi à la fin de l’année et un suivi du temps de travail effectué sur une base annuelle, même si, autant que faire se peut, la direction devait chercher à faire un point chaque trimestre[9]. Il en est de même d’une seule revue annuelle des décomptes mensuels renseignés par le salarié[10].

Soulignons qu’il ne suffit pas que les stipulations de l’accord collectif soient conformes aux exigences jurisprudentielles : l’employeur doit les respecter strictement. A défaut, la convention individuelle de forfait en jours est nulle[11]. Ainsi, l’absence d’organisation, chaque année, de l’entretien de suivi prévu par la loi justifie une telle sanction[12].

Si les stipulations conventionnelles sont insuffisantes, la loi permet à l’employeur de pallier ces lacunes : l’établissement d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des jours travaillés, la nature des jours non travaillés et donnant l’opportunité au salarié de signaler une charge ou des durées de travail qu’il jugerait excessives, la revue régulière de ce document de contrôle (au moins une fois par mois) ainsi que l’organisation d’au moins un entretien annuel protègeront l’employeur contre une annulation de la convention de forfait.

En dernier lieu, s’agissant des dispositions contractuelles indispensables, l’accord collectif doit en principe en préciser le contenu. Le code du travail se contente d’exiger a minima la mention du nombre de jours compris dans le forfait. Il sera opportun de se référer à l’autonomie du salarié concerné et de rappeler les moyens mis à en place pour suivre son activité et lui permettre de saisir sa hiérarchie d’une éventuelle difficulté.

Le travail d’un nombre de jours excédant le forfait en jours convenu, en renonçant à des jours de repos, est autorisé dans la limite de deux cent trente-cinq jours travaillés. A défaut d’accord sur la contrepartie à ce dépassement, le juge fixe le montant de la majoration applicable[13].

 

En conclusion

 

Au-delà de la conformité des dispositions conventionnelles et contractuelles, l’employeur doit s’appuyer sur des mesures de suivi et de contrôle rigoureuses s’il veut pouvoir défendre en cas de contentieux cette organisation dérogatoire du temps de travail. Le fait que la Cour de cassation rende régulièrement des décisions sur ce point démontre qu’il existe encore des imperfections dans la pratique des entreprises.

 


 

Maître Aurélie Roche,

Associée du cabinet Edgar Avocats, j’assiste, en droit du travail et en compliance, de grandes entreprises et des PME dans un très large éventail de secteurs, avec un accent sur la santé, les sciences de la vie et le BTP.
Je conseille mes clients sur des questions d’exécution du contrat de travail.

 

[1] Ce billet complète le billet publié le [16 janvier 2018] et présentant les conditions de fond et de forme devant être respectées pour assurer la validité des conventions de forfait appliquées.

[2] L’accord peut être conclu au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou de la branche.

[3] Cf. Cass. soc. 9 mai 2018 n° 16-26.910

[4] Ce peut être l’année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs.

[5] Cf. Cass. soc. 15 déc. 2016 n°15-17.568 et 27 mars 2019 n° 17-31.715

[6] Cf. Cass. soc. 2 février 2022 n° 20-15.744

[7] Cf. Cass. soc. 15 décembre 2021 n° 19-18.226

[8] Cf. Cass. soc. 27 mars 2019 n° 16-23.800

[9] Cf. Cass. soc. 5 octobre 2017 n° 16-23.106 et 8 novembre 2017 n° 15-22.758

[10] Cf. Cass. soc. 19 juin 2019 n° 18-11.391 : le salarié avait été amené à travailler régulièrement 6 jours par semaine et au-delà de la limite de 10 heures par jour fixée par l’accord collectif sans réaction de l’employeur.

[11] Jurisprudence constante depuis 2011. Pour des exemples récents, voir par exemple Cass. soc. 6 janvier 2021 n° 17-28.234 ; Cass. soc. 15 décembre 2021 n° 19-18.226

[12] Cf. Cass. soc. 17 février 2021 n° 19-15.215 : absence d’entretiens entre 205 et 2009, entretiens organisés en 2004, 2010 et 2011

[13] Cf. Cass. soc. 26 janvier 2022 n° 20-13.266 : la majoration est légalement fixée à un minimum de 10%