GRANDE DÉMISSION OU GRANDE ILLUSION ?
22 août2022
Avec ses études qui font référence dans le monde du travail, la DARES apporte des éclairages qui relativisent souvent la portée médiatique de certains phénomènes. La « grande démission » ne ferait-elle pas partie de ces croyances ? Dans un rapport publié le 18 août 2022, la DARES indique que fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut mais pas inédit en France.
Au départ, le « big quit »
Né de la crise du Covid en 2022 aux Etats-Unis, le « big quit » ou « grande démission » en Français, n’a cessé de prendre de l’ampleur, dans les chiffres constatés, et encore plus dans la couverture médiatique dont il a été l’objet.
En particulier, le phénomène a été rapidement associé à un mouvement sociologique, où les salariés seraient supposés démissionner en masse pour chercher un meilleur cadre de vie, donner du sens à leur existence, ou disposer d’une plus grande autonomie. Or – et la DARES le rappelle dans son étude – des tendances analogues ont déjà été observées en France et aux Etats-Unis, sur de longues périodes et sans aucun lien avec des crises sanitaires.
Record de démissions : que disent vraiment les chiffres ?
La DARES indique que le nombre de démissions en valeur absolue a battu un record au premier trimestre 2022 (510000 dont 400000 CDI). Si on s’en tient à cette valeur brute, la « grande démission » semble correspondre à une réalité. Mais si on rapporte ce chiffre à la population active, le taux de démission s’élève à 2,7%, une valeur certes élevée mais qui n’atteint pas les 2,9% observés avant la crise financière de 2008. Et pour les entreprises de 50 salariés et plus, il est également inférieur aux valeurs du début des années 2000. Les mêmes observations ont été faites aux Etats-Unis avec des taux de démission dans l’industrie similaires à ceux observés dans les années 1950 et 1960-1970.
La situation économique plus qu’une évolution sociétale
Pour la DARES, le taux de démission est avant tout corrélé à la situation économique : « Le taux de démission est un indicateur cyclique. Il est bas durant les crises et il augmente en période de reprise, d’autant plus fortement que l’embellie conjoncturelle est rapide. Durant les phases d’expansion économique, de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, incitant à démissionner plus souvent. Dans le contexte actuel, la hausse du taux de démission apparaît donc comme normale, en lien avec la reprise suite à la crise du Covid-19. Elle n’est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail ».
D’après la DARES, c’est donc la reprise rapide de l’économie et l’augmentation subite des recrutements post-Covid qui créent avant tout la progression du nombre des démissions et non un supposé retrait massif de salariés du marché du travail. D’ailleurs, l’organisme rappelle que le taux d’emploi des 15-64 ans en France dépasse son niveau d’avant-crise, relativisant ainsi par les chiffres ce phénomène de « grande démission ».
Une situation favorable aux salariés
Dans ce contexte de marché du travail tendu, la DARES indique que cette situation devrait bénéficier aux salariés, avec des perspectives d’augmentation salariale et « en particulier pour les personnes nouvellement démissionnaires ». On voit mal en effet comment ces perspectives d’amélioration des revenus ne viendraient pas alimenter cette augmentation des démissions, en premier lieu dans les secteurs d’activité en pénurie chronique de ressources.
Des considérations sociologiques liées au Covid ont été rapidement mises en avant pour expliquer cette hausse, certes élevée mais pas nouvelle, du nombre des démissions. Et on ne peut exclure en effet qu’un certain nombre de salariés ont changé de vie à l’occasion de cette crise sanitaire inédite. Mais l’éclairage apporté par la DARES montre que cette évolution obéit avant tout à un classique déséquilibre de l’offre et de la demande sur un marché du travail tendu.
L’article sur le site de la DARES : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-france-vit-elle-une-grande-demission